La Trace du Papillon
Mahmoud Darwich
La Trace du Papillon Pages d'un journal (été 2006 - été
2007)
Titre original : Athar al-farâsha édition Riad el-Rayyes Books, Beyrouth
2008
Dernière édition Actes Sud avril 2009
Le Point de vue des éditeurs
:
Cet ouvrage, le dernier publié du vivant de Mahmoud Darwich rassemble une centaine de
textes courts, en vers ou en prose, écrits au fil des jours sans plan préconçu ni la moindre restriction thématique.
Ainsi y trouve-t-on des réflexions à caractères politique, toujours décapantes, et des
pensées intimes sur le temps qui passe ou sur l'exil intérieur, mais aussi un éloge du vin ou de la voix d'Oum Kalsoum, des poèmes d'amour, la description d'un arbre ou d'un fruit, les échos
d'une conversation à Paris ou le récit d'une rencontre en Espagne, et surtout, de bout en bout, le pressentiment d'une prochaine disparition.
Au sommet de son art, Mahmoud Darwich trace des pistes, pose des jalons, nous dit à
chaque page de son journal qu'il a encore tant de choses à nous dire et dont nous ne connaîtrons que les quelques poèmes, sublimes, qu'il a eut le temps d'écrire ou d'achever durant la
dernière année de sa vie.
EXTRAITS
LA FILLETTE / LE CRI
Sur la plage, une fillette. La fillette a des parents, ses parents ont une
maison,
la maison a une porte et deux fenêtres.
En mer, un bâtiment de guerre joue
à la chasse aux piétons sur la plage :
quatre, cinq, sept personnes
tombent sur le sable mais la fillette en réchappe de
justesse.
Une main de brume,
une main providentielle, l'a secourue. Elle crie : Papa !
Papa ! Lève-toi et rentrons. La mer n'est pas pour nos semblables
!
Gisant sur son ombre dans le tourbillon de l'absence,
le père ne répond pas.
Sang dans les palmiers, sang dans les nuages.
Sa voix l'emporte plus haut et plus loin que la plage.
Elle crie dans la nuit des landes,
mais nul écho à écho.
Elle devient alors le cri éternel dans une dépêche urgente
qui perd de son urgence lorsque les avions
reviennent bombarder une maison qui a une porte et deux fenêtres
!
Vie jusqu'à la dernière goutte
Si l'on me disait encore : Que ferais-tu si tu mourrais aujourd'hui ? Je répondrai
sur-le-champ : Si le sommeil me gagne, je m'endormirai ; si j'ai soif, je boirai ; si j'écris, ce que j'écris me plaira et j'ignorerai la question ; si je déjeune, j'ajouterai un peu de moutarde
et de poivre à ma grillage ; si je me rase, je pourrai me couper lobe ; si j'embrasse mon amie, je dévorerai ses lèvres comme une figue ; si je lis, je sauterai quelques pages ; si j'épluche des
oignons , je verserai quelques larmes ; si je marche, j'irai plus lentement ; si j'existe ainsi qu'à présent, je ne penserai pas au néant ; si je ne suis pas présent, l'affaire ne me concernera
pas ; si j'écoute Mozart, je me rapprocherai du carré des anges ; si je dors, je continuerai à dormir, rêvant et follement amoureux du gardénia ; si je ris, je réduirai mon rire de moitié par
décence. Que puis-je faire ? Que puis-je faire d'autre, même si j'étais plus courageux qu'une tête brûlée et plus fort qu'Hercule ?
Le Droit au retour au paradis
Si Dieu a puni Adam en le renvoyant de l'éternité vers le temps, la terre est exil et
l'Histoire, tragédie... La tragédie est née d'une guerre familiale entre Abel et Caïn puis elle s'est muée en guerres civiles, régionales et mondiales qui dureront jusqu'à ce que les descendants
de l'Histoire viennent à bout de l'histoire. Et après ? Après l'Histoire ? Il semble que le droit au retour au paradis est bordé d'absurde et de secrets divins, et que l'unique chemin qui y
prépare est celui du gouffre, jusqu'à nouvel ordre... jusqu'à la promulgation de l'amnistie divine.
Merci à François Xavier et son site
mahmoud-darwich.chezalice.fr