New York (?), mai 1927
Que pensez-vous d'un homme qui, quand il se réveille le matin, trouvant sur sa table de chevet une lettre d'une amie qu'il aime, s'écrie : "Bonjour, bienvenue !", et puis, quand il ouvre la lettre avec toute l'impatience d'un homme assoiffé qui a déniché une bouteille d'eau, il n'y trouve rien de plus qu'un poème topographique par Shawqi Bey ?
Qu'importe ! Je trouverai un long poème, ouvragé et divertissant de Haleem Effendi Dammoos et en écrirai un commentaire très détaillé que je vous enverrai.
Si le poème de Shawqi était arrivé le 1er avril, j'aurais apprécié la plaisanterie, et je me serais dit : "Quelle fille extraordinaire, comme elle connaît bien les services postaux internationaux". Mais le poème est arrivé le premier jour du mois de mai, le mois des roses, alors que faire sinon me mordre les lèvres de dépit (ce que font certains hommes quand ils sont en colère), trépigner de rage, lancer des imprécations et laisser exploser ma fureur dans toute ma maison.
En effet, j'étudierai la sagesse contenue dans ces mots : "Oeil pour oeil, dent pour dent", et je vous enverrai toute ce que la muse a inspiré à nos poètes arabes de renom.
Je vous le demande maintenant : "Comment dois-je passer le reste de cette journée avant que je vous pardonne ?" Le poème de votre poète de renom a rempli ma bouche de poussière, et pour me débarrasser de ce goût, il me faudra vingt tasses de café et vingt cigarettes, et cela ne suffira pas encore, je devrai aussi lire vingt poèmes de Keats, de Shelley et de Blake, ainsi qu'un poème de Majnum Layla.
En dépit de tout, ouvrez la paume de votre main.... comme ceci... comme font les gens....
Gibran