Recueil « L’amour la poésie » (1929) Paul Eluard
A Gala ce livre sans fin
PREMIEREMENT
A haute voix
A haute voix
L’amour agile se leva
Avec de si brillants éclats
Que dans son grenier le cerveau
Eut peur de tout avouer
A haute voix
Tous les corbeaux du sang couvrirent
La mémoire d’autres naissances
Puis renversés dans la lumière
L’avenir roué de baisers
Injustice impossible un seul être est au monde
L’amour choisit l’amour sans changer de visage
Paul Eluard
Amoureuse au secret
Amoureuse au secret derrière ton sourire
Toute nue les mots d’amour
Découvrent tes seins et ton cou
Et tes paupières
Découvrent toutes les caresses
Pour que les baisers dans tes yeux
Ne montrent que toi toute entière.
Paul Eluard
Bercée de chair
Bercée de chair frémissante pâture
Sur les rives du sang qui déchirent le jour
Le sang nocturne l’a chassée
Echevelée la gorge prise aux abus de l’orage
Victime abandonnée des ombres
Et des pas les plus doux et des désirs limpides
Son front ne sera plus le repos assuré
Ni ses yeux la faveur de rêver de sa voix
Ni ses mains les libératrices
Criblée de feux, criblée d’amour n’arrivant personne
Elle se forge des douleurs démesurées
Et toutes ses raisons de souffrir disparaissent.
Paul Eluard
Bouches gourmandes des couleurs
Bouches gourmandes des couleurs
Et les baisers qui les dessinent
Flamme feuille l’eau langoureuse
Une aile les tient dans sa paume
Un rire les renverse.
Paul Eluard
D’une seule caresse
D’une seule caresse
Je te fais brille de tout ton éclat
Paul Eluard
Elle ne sait pas tendre des pièges
Elle ne sait pas tendre des pièges
Elle a les yeux sur sa beauté
Si simple si simple séduire
Et ce sont ses yeux qui l’enchaînent
Et c’est sur moi qu’elle s’appuie
Et c’est sur elle qu’elle jette
Le filet volant des caresses
Paul Eluard
Elle se penche sur moi
Elle se penche sur moi
Le cœur ignorant
Pour voir si je l’aime
Elle a confiance elle oublie
Sous les nuages de ses paupières
Sa tête s’endort dans mes mains
Où sommes-nous
Ensemble inséparables
Vivants vivants
Vivant
Vivante
Et ma tête roule en ses rêves.
Paul Eluard
Il fallait bien qu’un visage
Il fallait bien qu’un visage
Réponde à tous les noms du monde
Paul Eluard
J’ai fermé les yeux
J’ai fermé les yeux pour ne plus rien voir
J’ai fermé les yeux pour pleurer
De ne plus te voir
Où sont tes mains et les mains des caresses
Où sont tes yeux les quatre volontés du jour
Toi tout à perdre tu n’es plus là
Pour éblouir la mémoire des nuits
Tout à perdre je me vois vivre.
Paul Eluard
Je me suis séparé de toi
Je me suis séparé de toi
Mais l’amour me précédait encore
Et quand j’ai tendu les bras
La douleur est venue s’y faire plus amère
Tout le désert à boire
Pour me séparer de moi-même
Paul Eluard
Je te l’ai dit pour les nuages
Je te l’ai dit pour les nuages
Je te l’ai dit pour l’arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l’œil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l’ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent
Paul Eluard
L’aube, je t’aime
L’aube, je t’aime j’ai toute la nuit dans les veines
Toute la nuit je t’ai regardé
J’ai tout à deviner je suis sûr des ténèbres
Elles me donnent le pouvoir
De t’envelopper
De t’agiter désir de vivre
Au sein de mon immobilité
Le pouvoir de te révéler
De te libérer de te perdre
Flamme invisible dans le jour
Si tu t’en vas la porte s’ouvre sur le jour
Si tu t’en vas la porte s’ouvre sur moi-même.
Paul Eluard
Ses yeux sont des tours de lumières
Ses yeux sont des tours de lumières
Sous le front de sa nudité
A fleur de transparence
Les retours de pensées
Annulent les mots qui sont sourds
Elle efface toutes les images
Elle éblouie l’amour et ses ombres rétives
Elle aime – elle aime à s’oublier
Paul Eluard
Les représentants tout-puissants du désir
Les représentants tout-puissants du désir
Des yeux graves nouveau-nés
Pour supprimer la lumière
L’arc de tes seins tendu par un aveugle
Qui se souvient de tes mains
Ta faible chevelure
Est dans le fleuve ignorant de ta tête
Caresses au fil de la peau
Et ta bouche qui se tait
Peut prouver l’impossible.
Paul Eluard
Plus c’était un baiser
Plus c’était un baiser
Moins les mains sur les yeux
Les halos de lumière
Aux lèvres de l’horizon
Et des tourbillons de sang
Qui se livraient au silence
Paul Eluard
Toi la seule
Toi la seule et j’entends les herbes de ton rire
Toi c’est la tête qui t’enlève
Et du haut des dangers de mort
Sur les globes brouillés de pluie des vallées
Sous la lumière lourde sous le ciel de terre
Tu enfantes la chute.
Les oiseaux ne sont plus un abri suffisant
Ni la paresse ni la fatigue
Le souvenir des bois et des ruisseaux fragiles
Au matin des caprices
Au matin des caresses visibles
Au grand matin de l’absence la chute
Les barques de tes yeux s’égarent
Dans la dentelle des disparitions
Le gouffre est dévoilé aux autres de l’éteindre
Les ombres que tu crées n’ont pas droit à la nuit.
Paul Eluard
La terre est bleue
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
A la croire toute nue.
Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cour
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
Paul Eluard
Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage de tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels
Et quand tu n’es pas là
Je rêve que je dors je rêve que je rêve.
Paul Eluard
Où la vie se contemple tout est submergé
Où la vie se contemple tout est submergé
Monté les couronnes d’oubli
Les vertiges au cœur des métamorphoses
D’une écriture d’algues solaires
L’amour et l’amour.
Tes mains font le jour dans l’herbe
Tes yeux font l’amour en plein jour
Les sourires par la taille
Et tes lèvres par les ailes
Tu prends la place des caresses
Tu prends la place des réveils
Paul Eluard
Si calme la peau grise éteinte calcinée
Si calme la peau grise éteinte calcinée
Faible de la nuit prise dans ses fleurs de givre
Elle n’a plus de la lumière que les formes
Amoureuse cela lui va bien d’être belle
Elle n’attend pas le printemps
La fatigue la nuit le repos le silence
Tout un monde vivant entre des astres morts
La confiance dans la durée
Elle est toujours visible quand elle aime.
Paul Eluard
Le mensonge menaçant
Le mensonge menaçant les ruses dures et glissantes
Des bouches au fond des puits des yeux au fond des nuits
Et des vertus subies des filets à jeter au hasard
Les envies d’inventer d’admirables béquilles
Des faux des pièges entre les corps entre les lèvres
Des patiences massives des impatiences calculées
Tout ce qui s’impose et qui règne
Entre la liberté d’aimer
Et celle de ne pas aimer
Tout ce que tu ne connais pas
Paul Eluard
Le sommeil a pris ton empreinte
Le sommeil a pris ton empreinte
Et la colore de tes yeux
Paul Eluard
Une brise de danses
Une brise de danses
Par une route sans fin
Les pas des feuilles plus rapides
Les nuages cachent ton ombre
La bouche au feu d’hermine
A belles dents le feu
Caresse couleur de déluge
Tes yeux chassent la lumière
La foudre rompt l’équilibre
Les fuseaux de la peur
Laissent tomber la nuit
Au fond de ton image
Paul Eluard
Nos yeux se renvoient la lumière
Nos yeux se renvoient la lumière
Et la lumière le silence
A ne plus se reconnaître
A survivre à l’absence
Paul Eluard
Le front aux vitres
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférente
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi-même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent
Paul Eluard
L’habituelle
L’habituelle
Joue bonjour comme on joue l’aveugle
L’amour alors même qu’on y pense à peine
Elle est sur le rivage et dans tous les bras
Toujours
Les hasards sont à sa merci
Et les rêves des absents
Elle se sait vivante
Toutes les raisons de vivre
Paul Eluard
Les corbeaux battent la campagne
Les corbeaux battent la campagne
La nuit s’éteint
Pour une tête qui s’éveille
Les cheveux blancs le dernier rêve
Les mains se font jour de leur sang
Une étoile nommée azur
Et dont la forme est terrestre
Folle des cris à pleine gorge
Folle des rêves
Folle aux chapeaux de sœur cyclone
Enfance brève folle aux grands vents
Comment ferais-tu la belle la coquette ?
Ne rira plus
L’ignorance l’indifférence
Ne révèlent pas leur secret
Tu ne sais pas saluer à temps
Ni te comparer aux merveilles
Tu ne m’écoutes pas
Mais ta bouche partage l’amour
Et c’est par ta bouche
Et c’est derrière la buée de nos baisers
Que nous sommes ensembles.
Paul Eluard