Reza - un photographe humaniste
photo de Mark Thiessen National Geographic
"J'ai sans doute débuté ma vie de nomade en imagination"
Reporter photographe iranien basé à Paris, Reza témoigne depuis vingt-cinq ans des blessures et des
joies de ceux qu'il croise sur sa route. Attentif aux événements qui agitent le monde et à leurs victimes, il cherche à montrer ce qui ne se voit pas. Ses photographies engagées sont largement
diffusées dans la presse internationale, notamment le National Geographic Magazine pour lequel il travaille depuis 1990.
"Enfant, j'aimais inventer des voyages dans le temps et me transposer dans un autre siècle, une
autre réalité, dit-il. J'étais tout à la fois le spectateur et l'acteur, l'esclave et le roi, le conteur aussi. Me vient à l'esprit une phrase de James Rumford : "Voyager vous laisse sans voix,
puis fait de vous un conteur". J'ai sans doute débuter ma vie de nomade en imagination. Plus tard, je choisi l'image comme moyen de raconter et... de dénoncer". Reza n'est pas seulement un
photographe engagé, il s'investit également dans de nombreuses organisations humanitaires et a d'ailleurs créé sa propre association humanitaire.
"L'art qui n'émeut pas, ce n'est pas un art"
INTERVIEW de Reza propos recueillis par Guillaume Jan
En 1981, Reza quittait l'Iran pour pouvoir exercer librement la photographie. Depuis, cet humaniste
engagé parcourt le monde pour témoigner des beautés et des tragédies de la planète. Il a également fondé, en 2001, l'association Aina pour former les jeunes Afghans aux métiers des médias. Il
revient tout juste de Kaboul, lorsque la rencontre se fait à Paris, à La Villette,où vingt deux de ses portraits sont exposés en très grand format dans les 55 hectares du
Parc.
Vous avez, à plusieurs reprises, souhaiter exposer vos photos en extérieur. Pourquoi ce
choix ?
C'est une façon de résister aux images de publicité qui nous envahissent. J'espère ouvrir un chemin, une brèche,
pour que les citoyens se réapproprient l'espace public. Je voudrais que cet espace ne soit pas réservé aux images mensongères et artificielles de la propagande commerciale. Je connais l'alphabet
de la photo. Je vois les répercussions culturelles et psychologiques que ces images peuvent avoir.
Mais la culture de l'image ne s'est-elle pas améliorée au cours des
dernières décennies ?
Elle a évolué. Elle est plus sophistiquée. Les gens lisent mieux les images qu'il y a trente ans, mais il reste
encore des lacunes. Je travaille d'ailleurs avec le ministère de l'Education nationale pour qu'il y ait un enseignement de la photographie dès l'école primaire. Nous vivons dans une société
d'images, les jeunes ont besoin d'en acquérir les codes. C'est également ce que nous faisons avec l'Association Aina à Kaboul. Nous formons les jeunes Afghans aux métiers de l'image et du
journalisme.
La photographie n'est-elle pas un langage universel ?
Si mais chaque culture a ses propres code, ses propres symboles. Certains objets ou certaines couleurs peuvent
avoir des significations différentes en fonction du lieu où l'on se trouve. Par contre, il y a une chose qui est universelle : c'est l'émotion. La tristesse ou la joie d'un regard, la douceur ou
la brutalité d'un geste... L'éducation, c'est ce qui constitue une grande partie de l'art.
C'est-à-dire ?
Quand on voit un tableau de Van Gogh ou quand on entend une musique qui nous touche ça nous fait trembler le
coeur sans qu'on puisse expliquer pourquoi. On est émus. L'art qui n'émeut pas, ce n'est pas de l'art. C'est une science, une technique. Il y a des tas de photographes comme ça. Je les appelle
des chirurgiens de l'image.
L'art a-t-il sa place dans le photojournalisme ?
Pendant longtemps, j'ai entendu mes confrères photojournalistes dire que leur travail n'avait rien à voir avec
l'art. Pourtant, je considère que la photographie, c'est comme la peinture. S'il n'y a pas d'âme dans une image ou dans un tableau, ça ne fonctionne pas. Quand Sebastiao Salgado a commencé à
photographier la misère la plus atroce avec ses si belles lumières, beaucoup de personnes se sont indignées. Elles lui disaient " vous n'avez pas honte de faire de belles images avec des
situations si dramatiques ?". Moi, je pense qu'il faut qu'on se donne la peine de devenir de meilleurs artistes pour que nos histoires aient davantage d'impact.
Avez-vous noté une évolution du style des photographes, depuis que vous avez commencé à
travailler à la fin des années 1970 ?
Oui cette évolution est à mettre en parallèle avec l'évolution de la société. Pour ma part, je suis en recherche
constante. J'évolue vers un style plus impressionniste, voire abstrait. Je fais également du Polaroïd mais je ne montre pas forcément ces photos. Il y a dix-huit mois, j'ai mis de côté
l'argentique pour passer au numérique.
Vous avez dit dans une précédente interview : "Si, en noir et blanc les grands maîtres ont
presque dit leur dernier mot, la photographie couleur cherche encore ses adeptes et ses maîtres. Nous sommes au début du chemin." Vous le pensez toujours ?
Oui, tout reste à inventer dans ce domaine. Le passage à la couleur est arrivé assez tard dans l'histoire de la
photo. Combien de vrais coloristes connaît-on chez les grands photographes ? Pas beaucoup encore aujourd'hui, les photojournalistes ont été formé au noir et blanc. Ils ne maîtrisent pas
totalement la couleur.
L'occident a dominé l'expression photographique au XXième siècle. Qu'en sera-t-il au
XXIième siècle ?
Le photojournalisme a longtemps été monopolisé par quelques poignées de photographes qui appartenaient au même
groupe : des hommes blancs, généralement célibataires, un peu casse-cous, souvent fumeurs et buveurs. Ils sont imposés leur style pendant quarante ou cinquante ans. N'est-il pas temps de donner à
d'autres catégories de personnes les moyens de s'exprimer en image, pour qu'ils puissent donner à voir leur point de vue ? C'est ce qu'est en train d'arriver d'ailleurs. Prenez la guerre en Irak
: très peu de photographes occidentaux ont pu y aller. Alors, ce sont les correspondants irakiens qui ont photographié ce conflit. En Afghanistan également, avec Aina nous formons la nouvelle
génération à produire ses propres images.
Le mois de la photo est-il un rendez-vous important, selon vous ?
Toute acte photographique est important. Il faut inciter les gens à mieux connaître les images, en les mettant
en garde contre la pollution visuelle que représente la publicité. En ce sens, montrer nos travaux photos dans les lieux publics, en parler, enseigner la culture de l'image, c'est un acte de
résistance contre les images anesthésiantes de la réclame. Mon rêve, ce serait que tous les panneaux publicitaires de Paris soient remplacés par des vrais images de photographes. Au moins pendant
une semaine ou deux.
L'exposition "Une terre, une famille" avait lieu au Parc de la Villette de 16 septembre au 3 janvier 2011
"Une terre, une famille exposition de photographie de Reza, vingt deux photos grand format
invitent le promeneur à une face-à-face avec des histoires de vies remarquables.
Du Rwanda à l'Afghanistan, du Cambodge à la Chine, la Mongolie et le Pakistan, du Caire à Jérusalem,
une invitation à un questionnement sur notre appartenance commune, à rencontrer à travers les conflits, les douleurs, les rêves qui les animent, les divisent, les rassemblent, des femmes, des
hommes, des enfants d'en approcher les singuliers récits, de réfléchir à un monde possible plus juste.
Un livre "Derrière l'objectif de Reza" Edition Hoëbeke
Résumé du livre
Du Maghreb à l'Asie, de l'Afrique aux Balkans, les images de Reza savent capter les regards, la
lumière et la mémoire des pays traversés. Adepte de la sobriété des cadrages, Reza appartient à la grande tradition des photographes humanistes... Ses images largement diffusées dans la presse
internationale (Time Magazine, Stern, Newsweek...) témoignent de sa foi en l'homme et en son courage.
Dans ce ouvrage, le photographe nous fait entrer dans son univers derrière son objectif, commentant
une centaine de photographie emblématique de son parcours. Reza retrace les étapes de la création en révélant le contexte d'une prise de vue, son intention le choix d'une technique ou d'un
cadrage et éclaire ainsi son travail d'un jour nouveau.
Une des photos les plus célèbres de Reza, le commandant Massoud chef de la résistance
Afghanes
Massoud 1985 Afghanistan - Vallée du Panjshir - Assassiné en 2001
1985 Afghanistan - Il s'appelait Amir Gol qui signifit "Prince des Fleurs" dans un pays meurtri par
la guerre.
Copyright Reza/Webistan
Présentation de l'association Aina à Kaboul
La biographie, l'interview ont été reccueillis sur le site Evene.