LACRYMOSA
J'ai caressé ma lyre avec mes mains lassées
Et j'ai gravi la côte où j'ai souvent marché,
Et j'ai baisé les fleurs des branches enlacées,
Et j'ai suivi mon rêve, allant au but cherché
Le coeur battant à coups précipité, dans l'ombre ;
Un seul désir dans l'âme, une larme à mon cil
Voyant le ciel trop noir et la cité trop sombre.
Je t'ai suivi, mon rêve angoissant et subtil !
... Suivre son rêve, aller quand le sort vous appelle,
Au crépuscule tendre errer seul et pensif,
Et regarder le ciel quand le chagrin rebelle
A mentir le Coeur pur sanglot, passif...
.... Le ciel est noir, mais quelque chose,
Un point à reflets chatouillant,
Un semblant de prunelle rose,
Un astre aux feux doux, ondoyants...
Ainsi que l'étoile, naguère,
Bethléhem aux Mages montrant,
L'astre qui me guide m'attend
A la porte du cimetière.
Enfant depuis longtemps parti,
O frère devenu bel ange
Pardonne ma voix, mon petit,
Ma triste voix qui te dérange !
Que ta forme, sans s'attarder,
Reprenne la robe éphémère
De son enfance et de sa terre
Et vienne un peu me regarder !
Te souvient-il de notre enfance ?
Toi vieux de quelques mois, Mimi ;
Moi, fière de mon importance
J'avais bien deux ans et demi ;
Nous dormions souvent côte à côte
Amusés de nos entretiens
Composés de rire et de riens
A voir un mouche qui saute,
Parfois nous nous battions bien fort
Et tu mordais ma main osée
Qui touchait ta ceinture d'or
Sur ton cher berceau déposée ;
Et moi, je mordais à mon tour
Ton doigt, ta main, ton bras, ta joue
Et tu te sentais bien, avoue !
Essoufflé de ma rude cour.
Alors conciliant comme un homme
Ton bras s'étendait, appellant ;
Et tu saisissais mon corps comme
Une mère apaise un enfant ;
Tu suçais ma lèvre sévère
Et moi sur le bout de ton nez,
Je posais mes doigts consternés
D'avoir blessé mon frère.
Puis vint un beau jour de printemps
Mais son rayon semblait livide
Et depuis déjà bien longtemps
Je pleurais sur le berceau vide
Quand, craintive, j'ai vu s'ouvrir
Un étrange écrin blanc et rose
Où l'on a couché quelque chose...
Et les échos semblaient gémir,
Depuis ont passées des années ;
J'ai grandi, souffert, embelli.
Et de mes amours raffinés
Le plus cher dort enseveli !
Souvent le doux appel de frère
A brûlé ma lèvre et mon coeur....
Ah ! trop cruelle est la douleur
Qui remplit nos jours sur la terre !
Ô mon frère, ô mon frère mort
Rien ne frisonne dans ta cendre !
Ne sens-tu rien de doux et fort
Sur tout ce qui fut toi descendre... ?
Car ta soeur vient pour te chanter
De nos berceuses orientales,
Nocturnes lentes, automnales...
Ne pourrais-tu les répéter... ?
Les morts oublient-ils les romances
Qu'ils ont appris à bégayer,
Et leurs compagnons de souffrances,
Et tous les efforts d'essayer... ?
Et de leur langue maternelle
Oublient-ils les si chers accents
Et les visions d'attraits puissants
Du pays, des campagnes belles... ?
Ah ! Dans un bras, forme d'amour
Qui doucement sur moi te penches
Viens, Reçois et donne en retour
Le baiser d'un coeur qui s'épanche !
Il est las, aigri, chagriné
De voir la vie un long mensonge :
Frère, viens le baiser en songe !
... Des pleurs sur mon front incliné...
MAY ZIADE